Du 9 au 15 mars, une mission du National Democratic Institute était à Conakry pour rencontrer le président de la transition, le colonel Mamadi Doumbouya, et la classe politique. Pour le NDI, le manque de clarté sur le chronogramme et le manque de transparence sur la composition du Comité national du rassemblement pour le développement sont source de tensions. En Guinée, comme au Mali, la transition connaît des difficultés. Christopher Fomunyoh, le directeur régional pour l’Afrique du NDI, se penche sur ces situations. Il répond aux questions de Bineta Diagne.
RFI : En Guinée, plus de six mois après le coup d’État, le chronogramme de la transition n’est toujours pas adopté. Comment expliquez-vous cette situation ?
Christopher Fomunyoh : Il serait important que le calendrier de la transition soit connu, que le chronogramme, avec des points précis, soit élaboré et partagé avec le grand public. C’est une question de transparence mais c’est aussi une question de confiance entre les Guinéens.
Vous avez récemment rencontré Mamadi Doumbouya, le président de la transition. Cette question est-elle vraiment une priorité pour lui ?
Nous l’avons trouvé très serein et très conscient aussi des attentes de la population guinéenne et surtout, de la jeunesse guinéenne qui souhaiterait que cette transition soit la dernière. Donc, je crois que, conscient de tout cela, il devrait œuvrer de tout son pouvoir pour que cette transition réussisse, qu’elle soit inclusive -comme lui-même l’avait évoqué au départ- et que, cela requiert vraiment l’assentiment de la grande majorité des Guinéens.
La période de grâce du CNRD semble rompue. La classe politique exprime ses frustrations, la société civile également. Va-t-on assister à un nouveau cycle de contestation en Guinée ?
J’espère que non. Parce qu’à chaque fois qu’il y a eu des contestations publiques en Guinée, cela a toujours fini par des morts d’hommes et des destructions. Mai, il serait important que le dialogue continue.
Justement, en parlant de dialogue politique, la Cédéao propose de désigner un facilitateur. À quelles conditions cette piste serait-elle viable et acceptée de tous ?
Nous avons également évoqué la nécessité d’avoir une personnalité, qui peut servir comme couloir de transmission d’informations entre les uns et les autres. La présence d’une tierce personne peut beaucoup aider, parce que ça va empêcher que les gens se rentrent dedans.
Cette semaine, le procureur général de la Cour d’appel de Conakry a été suspendu de ses fonctions après avoir dénoncé des ingérences des militaires dans les affaires judiciaires. Comment interprétez-vous les alertes lancées par les magistrats ?
Le Président de la transition avait lui-même déclaré que la justice sera sa boussole. Il est important que l’État de droit soit respecté. On ne peut pas, aussi, pendant que l’on prêche la réconciliation nationale, poser des actes qui vont dans le sens contraire. Donc, je crois que la frustration des magistrats peut se comprendre. Je crois savoir aussi que le Haut Commandant de la Gendarmerie a été suspendu autour de la même question. Cela démontre qu’il va falloir vraiment trouver un consensus pour que le pays puisse sortir rapidement de cet état d’exception.
Concernant le Mali, les relations entre Bamako et Paris sont très crispées. Qu’est-ce qui, selon vous, pourrait détendre les relations entre les deux pays ?
Tous les partenaires qui souhaitent aider le Mali à sortir de cette transition ont aussi besoin de clarté, de transparence dans la feuille de route qui devrait être adoptée par les Maliens. Ce genre d’action pourra attirer beaucoup plus de consensus entre les Maliens eux-mêmes et leurs partenaires potentiels.
En parallèle à toute cette crispation, la Cédéao a également imposé des sanctions très sévères contre le Mali. Avez-vous le sentiment que Paris dicte un peu la tonalité des mesures prisent par la Cédéao ?
Non. Je ne crois pas. J’ai beaucoup de respect pour les chefs d’État de la sous-région qui se battent dans un contexte extrêmement difficile. Certains peuvent se permettre de critiquer la Cédéao mais imaginons un instant si la Cédéao n’avait rien dit. Ce serait la porte ouverte à toute sorte d’assassinat et de coup d’État dans presque tous les pays de la sous-région. Si c’était un autre pays, la Cédéao se serait comportée de la même manière.
Ce qui semble poser problème pour les partenaires occidentaux du Mali, c’est la question du groupe Wagner. Une présence que Bamako nie. Ces dénégations vous semblent-elles crédibles ?
La présence du groupe Wagner n’est plus à discuter puisque certains responsables de ce groupe sont inquiets de leurs activités sur le théâtre des opérations au Mali. Donc, on ne pourra pas le nier. Mais, à partir du moment où, le gouvernement malien reconnait une coopération bilatérale avec la Russie, et reconnait la présence des aspects techniques, cela ne servira pas à grand-chose de s’éterniser sur ce débat.
Sur le terrain, l’armée malienne multiplie les opérations mais elles sont entachées d’accusations d’exactions contre les civils -documentées, notamment, par Human Rights Watch. Comment percevez-vous ces faits ?
D’abord, je me réjouis du fait que l’armée malienne soit passée à des actions beaucoup plus concrètes pour vraiment éliminer ce fléau de l’extrémisme violent qui mine le pays depuis plusieurs années. Mais, en même temps, on peut être efficace sur le terrain sans avoir à violer les droits élémentaires des innocents citoyens qui se trouvent dans la zone.