Depuis que le régime de Yaoundé a renoncé à toute modification de la constitution au regard des différentes pressions à la fois intérieures et extérieures, certains montent au créneau pour déclarer que la mise en garde du Président Maurice Kamto n’était qu’une affabulation.
Aussi avons-nous pris connaissance de la communication de monsieur Jacques Fame Ndongo du lundi 08 juin : « Succession de gré à gré » : le gros mensonge de M. Kamto, avec cette belle introduction : « …Les troubadours caquettent et le Chef de l’État travaille… »
Et plus loin dans ce même document, on peut lire : « …Le gré à gré » successoral est une invention de M. Kamto… »
Et puis récemment dans l’édition du dimanche sur la chaîne de télévision STV de l’émission (FACE A l’ACTU), monsieur Paul Eric Kingué dira au micro de monsieur Dipita Tongo parlant de M. Kamto : « …d’où vient-il qu’un responsable de son âge imagine un seul instant qu’il y a un gré à gré qui est en train de se faire alors qu’il n’a pas d’élément… ? »
Et en allant un peu fouiller dans l’histoire d’aucuns arguent que le président Paul Biya lui-même, lors d’une l’interview accordée en 2007 à France 24, aurait laissé entendre que préparer un successeur relèverait de la monarchie.
Fort de tout ce qui précède, on pourrait affirmer rapidement que cette histoire n’était qu’une invention du Président Maurice Kamto, et que M. Paul Biya serait un grand démocrate. C’est mal connaître les deux hommes. Si l’un ne respire que pour protéger son pouvoir et que l’existence d’un dauphin le mettrait évidemment en danger, M. Maurice Kamto en bon joueur d’échecs ne place jamais au hasard chacun de ses pions. Cette sortie ordonnée des soutiens de Paul Biya et de son gouvernement cherche à masquer une vérité qui crève les yeux : La loi électorale actuelle est taillée sur mesure pour une victoire assurée de tout candidat du parti au pouvoir ; et c’est déjà un gré-à-gré.
C’est quoi le gré à gré ?
D’une manière plus générale « gré à gré » caractérise toute opération juridique menée en dehors d’un marché organisé.
Parlant d’une opération financière, le gré-à-gré définit un accord qui est effectué sans passer par un appel d’offres ou une procédure publique.
Et dans un contexte politique, cela signifie un accord à l’amiable et sans consultation du peuple.
L’arrivée de Monsieur Paul Biya au pouvoir le 6 novembre 1982 était déjà un gré-à-gré
Nous rappelons que la Constitution du 2 juin 1972 a été modifiée par les lois du 9 mars 1975, du 29 juin 1979, du 21 juillet et du 18 novembre 1983, du 4 février 1984, du 23 avril et du 16 décembre 1991 ; elle a fait l’objet d’une révision générale le 18 janvier 1996.
La révision constitutionnelle du 29 juin 1979, renforce le rôle du Premier ministre qui remplace le Président de la République en cas de vacance de pouvoir.
C’est cette disposition qui a permis à monsieur Paul Biya d’accéder au pouvoir le 6 novembre 1982.
Si en 1982, les Camerounais dans leur immense majorité étaient enfin heureux, d’une part, de voir quitter la scène monsieur Ahmadou Ahidjo, l’homme qui avait maté et détruit dans le sang la flamme nationaliste portée par l’Union des Populations du Cameroun (UPC) ; et d’autre part, arriver un technocrate jugé plutôt bâtisseur et porté comme un seul par ce même peuple, il n’en est pas moins que les camerounais aujourd’hui maudissent ce 6 novembre et continuent à reprocher à son prédécesseur (paix à son âme) d’avoir choisi parmi ses éventuels héritiers le plus mauvais d’entre eux au regard du bilan globalement négatif de sa gestion de la cité.
Cette arrivée au pouvoir le 6 novembre 1982 est considérée comme un gré à gré.
Quand ce jeudi 4 novembre 1982 à 20H30, les Camerounais entendent ceci de la voix de leur président, qui était alors l’homme le plus redouté du pays : « …Camerounaises, Camerounais, mes chers compatriotes, j’ai décidé de démissionner de mes fonctions de président de la République… » Une démission inattendue qui prendra non seulement effet le surlendemain, 6 novembre à 10 heures, mais au cours de l’annonce de laquelle il invitera les citoyens à apporter leur soutien à son successeur constitutionnel, monsieur Paul Biya. C’était le coup de tonnerre et le peuple camerounais ne pouvait que retenir sa respiration et avoir peur du lendemain…
Au demeurant, il faut dire que si monsieur Ahmadou Ahidjo avait préféré quelqu’un d’autre : Messieurs Bello Bouba Maigari, Ayissi Mvodo ou même Samuel Eboua, le résultat aurait été le même. Fort de sa majorité à l’Assemblée nationale, le parti au pouvoir avait pensé et mis en place effectivement un dispositif de succession de gré-à gré.
En effet, le peuple camerounais n’avait jamais été consulté. Il s’agissait des accords de gré-gré (la France qui convainc Ahmadou Ahidjo de se retirer pour céder le fauteuil à Paul Biya) et un tête-à-tête au sommet de l’Etat entre messieurs Ahmadou Ahidjo et Paul BIYA.
Au regard du bilan que nous laisse le successeur naturel, la pandémie du covid-19 s’invitant au menu, est venue in fine nous rappeler qu’au-delà des apparences trompeuses et des besogneux et laborieux maquillages, le Cameroun vivait au jour le jour, sans aucune prévision, sans aucune réserve, et était désormais le dernier pays de la sous-région de l’Afrique centrale en terme d’infrastructures diverses qu’il est fastidieux de citer ici. Tellement la liste est longue. Rappelons simplement pour que nul ne l’ignore que les camerounais continuent à s’entretuer dans le Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Nos frères de cette région vivent désormais un enfer parce qu’ils veulent au moins le minimum vital : de l’eau potable, de l’électricité, des routes, des écoles, des hôpitaux… Nous prierons pour que les négociations entamées sous la pression des Nations-Unies débouchent rapidement sur un accord.
Mais nous savons tous que le pouvoir de Yaoundé fort de sa majorité obèse est habitué à tripatouiller la constitution pour y ajouter tout ce que bon lui semble. Les circonstances actuelles avec un pouvoir « sans tête » étaient bien indiquées pour ce genre de manœuvres qui fuitaient abondamment autour du cercle au pouvoir.
La succession de gré à gré expurgée de la constitution du 18 janvier 1996
Les camerounais ont toujours redouté le gré à gré. Aux lendemains des Villes mortes, et à l’issue de la Tripartite, les camerounais avaient réussi à extirper de la constitution cette possibilité comme en témoigne son article 6 alinéa 4 :
« … (4) En cas de vacance de Présidence de la République pour cause de décès, de démission ou d’empêchement définitif constaté par le Conseil constitutionnel, le scrutin pour l’élection du nouveau président de la République doit impérativement avoir lieu vingt (20) jours au moins et quarante (40) au plus après l’ouverture de la vacance. a – l’intérim du Président de la République est exercé de plein droit, jusqu’à l’élection du nouveau président de la République, par le président du Sénat, et si ce dernier est, à son tour, empêché, par son suppléant, suivant l’ordre de préséance du Sénat… »
Loin d’être un troubadour, Monsieur Maurice Kamto est bien dans rôle de citoyen et surtout d’éveilleur des consciences. Il n’est donc pas anormal que les feux et soutiens du régime en place à Yaoundé soient braqués contre lui. Et il faut aussi le rappeler que depuis les mouvements des années 1989-1990, Maurice Kamto est dans la « short list » des opposants qui donnent des insomnies au régime de Yaoundé. Et c’est donc normal qu’il soit une cible privilégiée.
Nous prenons acte de la sortie de monsieur Jacques Fame Ndongo et remercions le président Maurice Kamto pour avoir obligé le camp au pouvoir de renoncer à la tentation du gré à gré. Le peuple camerounais ne veut plus de ces arrangements dans lesquels on ne tient jamais compte ni de ses attentes, ni de ses aspirations profondes.
Le non au gré-à-gré ici, signifie que les camerounais ne souhaitent pas d’une nouvelle modification de la constitution.
Le système électoral actuel est un autre gré à gré
« Chat échaudé craint l’eau froide». Depuis «l’indépendance» le peuple camerounais n’a jamais eu à s’exprimer librement sur le choix de ses dirigeants.
Pendant que la France faisait une guerre sans merci aux leaders nationalistes, le 18 février 1958, Ahmadou Ahidjo est investi comme nouveau Premier Ministre du Cameroun, en remplacement d’André Marie MBIDA, et élu en mai 1960 Président de la République du Cameroun.
Vient ensuite cette passation de pouvoir avec monsieur Paul Biya le 6 novembre 1982.
Les élections présidentielles camerounaise du 11 octobre 1992 sont ainsi les premières présidentielles de l’histoire du pays à avoir plusieurs candidats. De sources concordantes, c’est John FRU NDI qui en sort vainqueur. Il proclame d’ailleurs sa victoire le 20 OCTOBRE 1992. Mais à la grande stupéfaction du peuple camerounais, le 23 octobre 1992, la Cour suprême annonce la réélection de Paul Biya.
Conscient que c’est par le suffrage du peuple que le régime de Yaoundé pouvait tomber, une machine administrative de fraude a été depuis mise en à divers stades de la compétition pour éviter toute nouvelle surprise.
Les échéances de 1997, 2004 et 2011 n’étaient alors qu’une simple formalité.
L’incursion historique du tireur de pénalty
Maurice Kamto qui a eu l’occasion d’étudier les failles du système de l’intérieur prend ses distances, et depuis 2012, prépare assidument et sans faire beaucoup de bruit l’échéance d’octobre 2018. Très sûr de lui, il dira à l’issue de ces élections : « J’ai reçu mission de tirer le penalty historique. Je l’ai tiré. Le but a été marqué ».
Et comme en 1992, la Cour suprême qui s’est muée entre temps en le Conseil Constitutionnel va annoncer 23/10/2018, une nouvelle victoire de Paul Biya. Devant une mise en scène retransmise en mondovision que les Camerounais ne souhaiteraient plus vivre, le Conseil constitutionnel a rejeté la quasi-totalité des requêtes.
Tout candidat investi du parti-état au pouvoir le RDPC est pratiquement assuré d’être élu au regard du processus électoral en vigueur au Cameroun. Nen déplaise à tous ceux qui critiquent la sortie de Maurice Kamto, le Conseil Constitutionnel n’a pas eu besoin de la réalité des Procès-verbaux pour déclarer Paul Biya vainqueur. Et une inscription massive sur les listes électorale est nécessaire, mais pas suffisante.
Dans un tel contexte, pour exercer le pouvoir, il ne suffit plus simplement de gagner les élections. Il faut sans doute être aussi prêt à opposer un bras de fer au régime à Yaoundé ? Comment faire donc puisque ce dernier utilise les moyens de l’Etat pour mettre tout le monde au pas ?
Nous ne voulons plus de ce Cameroun-là. Ce qui se passe dans le NOSO pourrait se généraliser : d’où cette déclaration de Maurice Kamto : « Je ne marcherai pas sur les cadavres des Camerounais pour parvenir à Etoudi ». Les Camerounais devraient donc rester très vigilants pour ne plus accepter d’aller aux élections avec ce système électoral décrié tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Cameroun.
En guise de conclusion :
Tous les camerounais épris de liberté y compris au sein du pouvoir doivent mutualiser leur force pour jeter la base d’une véritable reconstruction pacifique du Cameroun. Et ceci passe :
Premièrement par l’instauration de paix et dont la fin de la guerre. Ensuite par un dialogue inclusif devant déboucher sur :
- Une
réconciliation nationale
- Une grande réforme constitutionnelle
- Une réforme de la vie politique et du processus électoral qui permettra entre autres de solder le passif des élections de 2018
- Une réforme de notre éducation, de notre santé, de notre économie,
- etc…
Bref, jeter les bases d’une troisième République.
Une fois, les règles de jeu clairement définies, chacun pourra retourner dans sa chapelle politique pour préparer les différentes compétitions électorales.
Le Cameroun a la chance d’avoir des fils bien formés dans tous les secteurs d’activités y compris les nouvelles technologies et qui se disent prêts à retourner construire leur pays. Et, last but not least, il compte aussi parmi ses enfants un des meilleurs experts du continent dans les réformes des processus électoraux en la personne de Christopher Fomunyoh.
Le Cameroun a un sol fertile, un sous-sol très riche, des cadres formés dans les meilleures universités du monde… Il ne reste plus à ses enfants qu’à définir une feuille de route consensuelle pour transformer leur pays en Paradis terrestre.
Par Paul Yamga, Paris le 7 juillet 2020