Thierry Amougou
Bonjour à vous et à vos lecteurs. Merci de cette opportunité de parler du FCFA en toute sérénité. La colonisation d’une grande partie de l’Afrique subsaharienne dès 1800 est ce qui explique la naissance du FCFA. De nombreuses anciennes monnaies africaines étaient en vigueur avant la colonisation. Sans être exhaustif, je peux citer les bars de sels, le fer, les cauris, certains animaux, des objets précieux et même des esclaves. C’est ce que nous appelons paléo-monnaies dans le jargon des économistes. La colonisation d’un territoire et de ses peuples étant aussi le remplacement d’un ordre par un autre ordre dans tous les domaines, la dimension monétaire de l’ordre colonial a évincé les anciennes monnaies africaines au profit des monnaies dites modernes, dont le FCFA dans une grande partie de l’empire colonial français. Le FCFA est né exactement le 26 décembre 1945 concomitamment avec la mise en place du système monétaire et financier international de Breton woods. 1945 est une date cruciale dans la réorganisation du monde de fond en comble après la Deuxième Guerre Mondiale. Les Etats-Unis exigent la sortie du monde de la colonisation pour celui du développement qu’ils vont dominer. La Zone Franc est la seule façon dont la France peut préserver ses intérêts dans une réforme du système financier et monétaire international dominée de bout en bout par les intérêts américains.
Thierry Amougou
C’est une question assez vaste et technique à laquelle je ne peux parfaitement répondre en quelques lignes. Ce que je peux vous dire de façon globale est que trois éléments déterminent la souveraineté internationale d’un Etat : être le seul et unique auteur de ses lois ; être capable de jouer au gendarme chez soi et battre sa propre monnaie. Ne pas battre sa propre monnaie cinquante ans après les indépendances est une preuve que tous les pays africains de la Zone Franc ne sont pas indépendants car ne pas battre sa monnaie influence aussi le fait que leurs lois soient parfois d’origine extérieure et que le gendarme soit très souvent assuré chez eux par les anciennes puissances coloniales. Sur le plan économique, la monnaie est un instrument de développement car elle permet de mettre en place une politique monétaire, une politique de change, une politique bancaire, une politique agricole, une politique industrielle et même une politique budgétaire à condition que les pays soient souverains dans leurs décisions. Ce qui n’est pas le cas des pays de la zone Franc. Il ne faut cependant pas croire qu’une monnaie est une bonne monnaie pour le développement de l’Afrique parce qu’elle est africaine. Une monnaie africaine peut être pire que le FCFA. Il faut d’abord se demander ce qu’on entend par monnaie, ce qu’on veut en faire et comment les Etats africains veulent la gérer.
Thierry Amougou
Oui il y a débat car l’histoire coloniale continue de déterminer l’avenir monétaire postcolonial des pays africains de la Zone Franc. Qui plus est, le rapport entre FCFA et
EURO reste politiquement dominé par la France car les instituts africains d’émissions ne traitent pas avec la Banque Centrale Européenne dans ce qui serait un rapport de banques centrales à banques centrales, mais avec le Trésor public français qui est la personnalisation financière de l’Etat français. Le rapport FCFA/EURO dépend donc encore de la position politique de la France au sein de l’Europe et de la zone Euro. Le rapport FCFA/EURO n’est pas un rapport économique mais politique via la France.
Thierry Amougou
Les Africains reprochent au FCFA d’être une monnaie coloniale, une monnaie qui continue l’exploitation coloniale, une monnaie dont l’existence nie l’indépendance des pays africains de la Zone Franc, une monnaie qui sert de poutre au système « Françafrique » et à toutes ses ramifications politiques, bancaires, financières et industrielles. Une monnaie porteuse de sous-développement comme la nuée porte l’orage. Ce n’est pas qu’une question économique mais aussi de fierté d’être libre enfin qui motive l’Afrique populaire dans la rue contre le FCFA.
Thierry Amougou
Ce n’est pas à la France qu’il faut demander d’arrêter le FCFA et la Zone Franc. La France fait ce qui est de son intérêt et l’intérêt de la France semble aussi celui de nombreux dirigeants africains au pouvoir. C’est cela que confirme l’Ambassadeur de France au Sénégal. Si les Africains veulent sortir du FCFA ce n’est pas à la France qu’il faut le demander. Ce n’est pas à Paris qu’il faut manifester mais devant les résidences des chefs d’Etat africains car c’est à eux de décider de leur indépendance monétaire et non à la France qui n’y trouve aucun intérêt. Si le FCFA perdure ce n’est pas en premier à cause de la France mais à cause des dirigeants africains qui ne prennent pas leur responsabilité. Dans de telles conditions mieux vaut peut-être garder le FCFA car si nos chefs d’Etat gèrent une éventuelle nouvelle monnaie nationale ou panafricaine comme ils gèrent nos pays, alors la situation risque encore d’être pire qu’avec le FCFA…
Thierry Amougou
Les réserves de changes déposées au Trésor public français sont une forme de couverture de la convertibilité internationale que la France assure au FCFA. Cela fait partie du système même s’il est presque infantilisant pour les pays africains de la Zone Franc que leur argent soit dans des comptes français et non chez eux. La France peut placer cet argent et le fructifier lorsque les pays africains sont excédentaires et en profiter des intérêts. Mais lorsque les pays de la Zone Franc sont déficitaires, le système du compte d’opération prévoit aussi une possibilité de découvert que la France évite parfois en dévaluant le FCFA de façon unilatérale.
Thierry Amougou
La monnaie est une affaire politique en premier et économique seulement en second. Si les politiques africains ne se plaignent pas alors il n y a pas de problème car l’économiste que je suis ne peux faire que des propositions techniques après leurs décisions de créer une nouvelle monnaie. Quant au problème plus général de la dépendance des économies africaines, une solution peut résider dans la diversification des économies, la promotion des partenariats économiques où l’Afrique échange ses matières premières contre des acquis technologiques, une coopération Sud/Sud pour s’échanger des expériences de réussite et surtout que l’Afrique cesse de suivre comme un mouton des modèles qui viennent d’autres cieux comme l’est actuellement l’émergence économique mangée à toutes les sauces par les gouvernement africains. Concernant la monnaie, qu’elle soit panafricaine, nationale ou le FCFA n’est pas très important. Ce qui l’est est de savoir ce qu’on veut en faire par rapport au développement de son pays, du continent tout entier. C’est une fois qu’on répond à cette question qu’on donne à sa monnaie les caractéristiques techniques idoines et qu’on met en place une stratégie monétaire ad hoc. Construire son indépendance économique avec cette dépendance historique est le défi à relever. Il y a ceux qui font des révolutions monétaires et ceux qui en parlent. En ce moment les Africains et l’Afrique sont dans la seconde catégorie.
Propos recueillis par Hugues SEUMO
pour le Sillonpanafricain.net
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