Flore Kamga Kengne, journaliste à Kamer Presse Agency, a été arrêtée et maintenue sous surveillance durant quatre heures par des militaires. Son tort : s’être rendue à Matazem, dans l’arrondissement de Badadjou à la frontière du Nord-Ouest, où venait d’avoir lieu un échange de tirs entre forces gouvernementales et présumés sécessionnistes anglophones.
» J’ai échappé au pire, le vendredi 09 janvier 2021. Je me suis rendue à Matazem pour savoir exactement ce qui s’était passé suite à l’attaque de la localité par des personnes armées, présentées comme des présumés combattants sécessionnistes originaires des régions anglophones« . Cette attaque a causé la mort de quatre hommes en tenue présents à un poste de contrôle routier et de deux civils.
Un camion transportant du carburant a été complètement détruit par les assaillants. Sur place, quand les gendarmes ont découvert que j’étais journaliste, ils ont retiré ma carte nationale d’identité, déchiré mon bloc noteset m’ont placée en garde à vue dans un camion de l’armée, de 14h à 18 h», raconte Flore Kamga Kengne. Elle semble avoir perdu son courage. Pour elle, il n’est plus question de se rendre dans une zone de conflit armé pour un reportage ou une enquête.
Menaces verbales
Une fois identifiée comme journaliste par les gendarmes, son calvaire a commencé. Elle aurait entendu ce qu’elle ne devait pas entendre, notamment, des échanges critiques entre le commandant de la brigade de gendarmerie de Babadjou et ses hommes. Des commentaires qui, selon elle, laissaient entrevoir que le gouverneur de la région de l’Ouest en tournée d’installation du préfet du département du Ndé au moment des faits, a limité son intervention à la visite des blessés internés à l’hôpital régional de Bafoussam, et une visite « superficielle » des locaux de la brigade de gendarmerie de Babadjou, sans mettre les pieds à Matazem, épicentre de l’attaque armée.
Elle affirme par ailleurs avoir été traitée de tous les noms d’oiseaux par les gendarmes et les militaires déployés en grand nombre, pour neutraliser les présumés « terroristes » au lieu du sinistre et dans les localités environnantes. « Qu’êtes vous venue chercher ici ? Si on vous abat que diriez-vous ? Nous ne connaissons pas vos histoires des droits de l’Homme en zone de conflit armé », aurait-elle entendu de la bouche d’un militaire très remonté lorsqu’il a appris qu’elle était journaliste. « Les menaces ont cependant été diluées lorsque j’ai été reconnue par un ancien camarade de classe devenu aujourd’hui militaire. Il m’a poliment indiqué que je ne devrais pas être dans un lieu de guerre », rapporte-t-elle.
« Une nécessaire accréditation »
Durant sa séquestration, gendarmes et militaires lui ont répété qu’elle n’avait pas le droit de couvrir des activités concernant l’armée. Il lui ont rappelé certaines dispositions de la loi sur la communication de décembre 1990, et certaines dispositions du code de déontologie des journalistes camerounais qui interdisent la prise de vue des opérations et des bâtiments militaires.
Des sources de la gendarmerie font savoir qu’il est imprudent pour tout journaliste de se rendre dans un lieu de conflit, sans se faire accréditer ou se signaler formellement auprès de l’Etat major. Après toutes ces recommandations, le commandant de la légion de gendarmerie de l’Ouest a demandé au commandant de la brigade de gendarmerie de Babadjou de libérer la reporter de Camer Presse Agency.
Informé de la situation, Joseph Olinga, responsable régional du Syndicat national des journalistes du Cameroun(Snjc), a exprimé son indignation. Blaise Nzupiap Nwafo, journaliste et acteur de la société civile sous le label de Zenü Network, a lui aussi condamné ce qu’il considère comme « une dérive et une grave atteinte à la liberté de la presse ».
Tous les deux mettent en avant les instruments juridiques, nationaux et internationaux, ratifiés par le Cameroun, qui protègent le journaliste dans l’exercice de sa profession. L’article 9 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples est aussi assez clair à cet égard. »Toute personne a droit à l’information. Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements. »
Guy Modeste DZUDIE