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Thierry Amougou  » La « Françafrique » mafieuse qui existe et que tout le monde dénonce est le fruit des Hommes et d’une conjoncture historique donnée »

Plus de deux semaines après la tenue du nouveau sommet Afrique-France de Montpellier, la problématique de la redéfinition des relations entre la France et le continent continue d’animer les débats. A Montpellier en dehors des questions purement politiques, les participants ont pointé du doigt l’Agence Française de Développement (AFD), jugée trop vétuste, voire représentative d’une certaine forme de néocolonialisme. Thierry Amougou, Economiste, professeur à l’UCLouvain (ESPO), où il a été, de 2018 à 2020, directeur du Centre de recherches interdisciplinaires Démocratie, institutions, subjectivité (CriDIS) au sein de l’Institut IACCHOS, a accepté de revenir sur les grands sujets traités au cours des travaux de ce nouveau sommet France-Afrique de Montpellier pour lequel il a travaillé en amont avec Achille Mbembé.

Quels enseignements peut-on tirer de ce sommet sur les relations économiques entre l’Afrique et la France ?

Bonjour à vous, au Sillon Panafricain et à vos multiples lecteurs. Plusieurs Africains, aveuglés à la fois par l’histoire sombre entre la France et l’Afrique et la dimension mafieuse de leurs rapports après les indépendances, n’arrivent pas à apprécier le nouveau sommet Afrique/France de Montpellier à sa juste valeur. Si vous réussissez à ôter cette poutre historique de vos yeux, alors vous verrez que ce sommet a été novateur sur plusieurs points : la méthode, les acteurs impliqués, le format, les propositions et la rationalité.

Commençons par l’économie au sens strict sur laquelle vous insistez. Le nouveau sommet Afrique/France propose d’accompagner la jeunesse africaine dans l’emploi en orientant la coopération universitaire vers des formations moins théoriques mais professionnalisantes caractéristiques plus anglo-saxonnes que francophones. Il propose une commission intercontinentale sur la transparence économique. Cette commission va servir à la fois de banques de données informatives et évaluatives sur ce qui se fait économiquement en Afrique, des difficultés rencontrées, des réformes à entreprendre et des opportunités qui en découlent. Il y a aussi la proposition d’un programme Start-up Afrique/France en soutien à l’économie numérique franco-africaine. Le rapport indique plusieurs modalités de sorties du FCFA et montre que l’Afrique de l’Ouest a déjà engagé son processus et qu’il lui appartient de l’élargir ou pas au Ghana et au Nigéria. Comme je l’ai toujours dit, c’est aux Etats africains de prendre leur destin en main sur le FCFA car celui-ci ne peut exister s’ils décident d’en sortir. Nos travaux ont montré que plusieurs Etats africains ne veulent pas en sortir et fuient ainsi leur responsabilité.

Mais ne restons pas dans une approche obtuse de l’économie et élargissons vers d’autres propositions qui ont aussi un impact économique.

Concernant la méthode, c’est un jeune Président français, sans passé colonial ni participation à la Françafrique mafieuse qui juge que les rapports entre la France et l’Afrique sont un fiasco et demande à un Africain, Achille Mbembé, de l’aider à les orienter différemment. Ce travail est accepté par Achille Mbembé qui va conduire des centaines de débats et de consultations en Afrique et dans la diaspora avec la société civile africaine. Ces débats vont donner lieu à un rapport et au sommet de Montpellier où le débat continuera à être au centre de la méthode. C’est donc un sommet où la démocratie à été une ligne directrice de bout en bout car la démocratie c’est tout remettre en débat et tout trancher via un débat.

Le deuxième apport de ce sommet est un changement de public. Très souvent, ce sont des chefs d’Etat africains qui rencontrent un Président Français. Cette fois-ci, le public n’était pas le même. C’était la société civile avec une grande participation de la jeunesse africaine. Ce changement de public est très porteur. Premièrement, mettre en avant la société civile africaine est une façon de soutenir les peuples africains qui se battent pour la démocratie face à des pouvoirs dictatoriaux.

Deuxièmement, mettre en lumière la jeunesse africaine c’est faire un pari positif sur l’avenir du continent. Cette jeunesse qui représente l’Afrique de demain, a, en s’adressant sans filtres et avec sincérité au président français, permis à toute la jeunesse africaine de sortir de « l’Afrique de papa », celle des rapports d’allégeances aux président français. Cela est très important pour la symbolique et l’imaginaire généralement véhiculés et installés d’une structure des rapports Afrique/France où nul ne peut s’adresser au « grand maître français » sans conséquences fâcheuses sur son avenir politique. Ce sommet a montré que cette Afrique-là est désormais de l’histoire ancienne pour la jeunesse africaine.

Le format du nouveau sommet fait d’échanges directs, respectueux mais sans tabous entre Macron et une jeunesse africaine avertie et offensive, a été une autre innovation. Cela nous a beaucoup changé du ballet quotidien de chefs d’Etats aux prises de parole diplomatiques et tatillonnes. Le nouveau sommet Afrique/France de Montpellier a été la mise en scène d’une Afrique jeune, talentueuse et avec des idées claires sur ses rapports passées avec la France et capable tant de critiques sévères que de discernements sur l’avenir.

Enfin, la plus grande valeur ajoutée de ce sommet est cet ensemble de 13 propositions visant à réorienter les rapports entre l’Afrique et la France. Quelques-unes de ces propositions sont le soutient aux sociétés civiles africaines qui se battent pour la démocratie, l’institutionnalisation d’une forme de campus nomade entre la France et l’Afrique, une commission scientifique pour réécriture l’histoire entre la France et l’Afrique et une structure pour le développement de la culture dénommée « maison des mondes africains et des diasporas. »

La rationalité des rapports Afrique France cesse de ce fait d’être une routine mafieuse fixée par avance et qui échappe aux populations françaises et africaines, pour devenir une cocréation entre l’Afrique et la France qui détermine ensemble le chemin à suivre, les moyens d’évaluations et les résultats à atteindre.

Ce nouveau sommet Afrique/France sort donc les relations Afrique/France du domaine du crédo et de la critique stérile et rébarbative que nous connaissons tous (la France pille, vole, tue en Afrique et néo-colonisalise) pour le domaine du cogito et des propositions concrètes. Même le contre-sommet et les débats qui continuent en ce moment sont à mettre à l’actif de ce nouveau sommet car c’est grâce à lui que les rapports Afrique/France sortent de leur congélation « au cœur des ténèbres » pour se discuter et se disputer à nouveau. Si le pire a été possible, le meilleur l’est aussi car les Hommes en sont aussi capables dans l’histoires du monde en mettant en commun leurs intérêts.

Que vous inspirent les propositions faites lors de ce sommet Afrique-France de Montpellier ?

Je tiens, de prime abord, à signaler que le nouveau sommet Afrique/France de Montpellier n’était pas un sommet pour annuler les effets négatifs établis de l’esclavage, de la colonisation ou les effets désastreux de la « françafrique » mafieuse. Il n’avait pas non plus pour but de construire le panafricanisme qui est un projet africain à construire par l’Afrique, même si, le panafricanisme, tel que je l’entends, ne peut se faire en vase clos…

Le nouveau sommet a produit un rapport demandé par l’actuel président français pour réorienter les rapports Afrique/France. La responsabilité d’Achille Mbembé et de ses équipes auxquelles ma modeste personne a été associée était donc de faire des propositions qui peuvent fonctionner, c’est-à-dire aller en sens contraire des critiques que nous connaissons tous de ces rapports Afrique/France depuis au moins 1960. Ce sont des propositions à mon avis très importantes pour réorienter ces rapports. Une commission d’historiens pour une réécriture des rapports entre l’Afrique et la France est importantissime car de nombreux faits, phases et acteurs de cette histoire sont à réécrire par des historiens afin de créer un nouveau récit entre les deux sociétés et le monde. Le campus nomade Afrique/France va permettre un échange de savoirs et d’étudiants entre la France et l’Afrique. Cela permettra, non seulement aux jeunesses françaises et africaines de se fréquenter constamment pour mieux se connaître, mais aussi aux jeunes Africains de ne plus connaître des problèmes de visas pour aller et venir entre l’Afrique et la France dans le cadre de leurs études. En choisissant cette proposition, Achille Mbembé a pensé à l’avenir de l’Afrique où la formation des jeunes va jouer un rôle crucial dans le développement dans un monde où l’économie du savoir va jouer un rôle majeur car la valeur ajoutée que dégage une société dépend de son niveau général de savoirs et de compétences. La fondation pour soutenir la démocratie en Afrique à travers le soutien aux sociétés civiles africaines est aussi une idée à encourager car ce sont ces sociétés civiles qui se battent pour la démocratie en Afrique. Le bémol ici peut être de se poser la question de savoir si les sociétés civiles anti-France dans leurs revendications démocratiques pourront bénéficier de soutiens de cette fondation. Concernant la culture, la maison des mondes africains et des diasporas est un atout pour tisser des liens culturels et mettre en avant à la fois ce que la France a apporté à l’Afrique, ce que l’Afrique a apporté à la France et la participation des diasporas à la création du « tout-monde » dont parle Edouard Glissant. C’est un lieu de création, de dialogues, d’apprentissage des autres et de l’autre puis d’incubation d’innovations culturelles et scientifiques du futur. J’invite les uns et les autres à lire le rapport car d’autres propositions très intéressantes y figurent et constituent ce qu’on appelle en économie un turning point (point de retournement) des liens entre l’Afrique et la France.

Qu’avez-vous pensé tant sur la forme que sur le fond de la teneur des échanges entre le président français et les onze jeunes invités sur scène ?

Comme déjà signalé, la méthodologie du nouveau sommet Afrique/France a été une innovation démocratique majeure. D’où ces prises de parole directes, sincères et fraîches entre des jeunes Africains et le président Macron sans filtres et sans tabous ou encore autres précautions langagières de nature diplomatique. Cela contribue aussi à réorienter les rapports Afrique/France car les jeunes Africains, grâce au format de ce nouveau sommet, ont pu inaugurer un autre dispositif pour parler du fond d’une relation historique dont la surface et l’écume ont très souvent occulté les tréfonds des choses et des cœurs. Ces jeunes ont fait la fierté du continent et ont permis au président français de s’expliquer sur un grand nombre de thèmes parfois tabous comme le FCFA. C’est donc un sommet qui a libéré la parole de la jeunesse africaine.

J’attends toujours qu’un président africain invite la jeunesse africaine, les intellectuels africains, les sociétés civiles africaines et les diasporas africaines pour discuter avec lui, comme l’a fait Macron, de l’avenir du continent africain. Macron lui construit l’avenir du rapport Afrique/France et non celui du développement de l’Afrique qui est du ressort des Africains et de leurs dirigeants. C’est ce que je réponds à tous ceux qui voient de la saleté sur la cour du voisin sans au préalable balayer devant leur propre porte.

Lors de ce Sommet, le président français Emmanuel Macron a évoqué la possibilité de transformer ou de renommer l’AFD. Vaut-il mieux parler de coopération plutôt que d’aide au développement ?

L’aide est une modalité ou un instrument de la coopération. L’aide est toujours la contrepartie à quelque chose d’autre que l’on reçoit de la partie que l’on dit officiellement aider, c’est donc un abus de langage. Il ne faut pas croire que c’est seulement l’Afrique qui reçoit des aides de la France, le contraire est aussi vrai. L’Afrique aide la France par exemple à promouvoir la langue française à travers le monde et la francophonie. Quand Achille Mbembé dit que le français est désormais une langue africaine, il a complètement raison. Cela ne veut pas dire qu’on ne doive pas promouvoir d’autres langues africaines, mais que l’Afrique a désormais une langue en plus et qu’elle peut même l’arracher à la France si nous tenons compte de la démographie africaine en termes de croissance et d’âge de la population qui cause et écrit le français. Les propositions du rapport d’Achille Mbembé sur les nouvelles technologies, les migrations, la formation professionnelle, le climat, les rapports avec l’Europe au 21ème siècle, la transparence économique et j’en passe… visent à définir une nouvelle forme de coopération entre l’Afrique et la France.

Jusqu’ici deux modèles de coopération étaient en place en Afrique. D’un côté, le modèle européen et donc français qui consiste à poser des conditionnalités (démocratie, Etat de droit, libre-échange…) dans le but de changer les méthodes de gouvernance en Afrique en changeant les institutions qui changeront ensuite les comportements des Hommes et des sociétés. Le modèle proposé ici est le modèle démocratique occidentale. Puis, de l’autre côté, le modèle chinois qui ne se préoccupe pas des conditionnalités sus évoquées mais à satisfaire aux demandes des pays africains dont la satisfaction permet à la Chine de satisfaire les siennes dans une forme de deal contractuel gagnant/gagnant : la chine promeut une coopération où l’Afrique doit trouver elle-même sa propre voie et voix de développement. Le nouveau sommet Afrique/France a fait des propositions qui vont vers une troisième voie suivant laquelle la coopération doit à la fois être gagnant/gagnant et permettre la transformation démocratique des sociétés africaines et de leur gouvernance via des structures qui soutiennent la jeunesse africaine et les sociétés civiles africaines.

La question relative au Sahel était également sur la sellette lors des travaux. Comment les États concernés et la France peuvent-ils rendre plus accessibles les termes du débat autour de l’engagement français dans le sahel ?

La question du Sahel est complexe et la responsabilité de la France puis de l’OTAN à travers l’intervention en Libye est centrale. Plusieurs constats se dégagent. Les pays africains et, avec eux, l’Union Africaine n’ont pas une capacité d’intervention qui dissuade le monde et les anciens pays colonisateurs de telles interventions. La question est donc africaine car c’est à elle de se doter des capacités militaires pour se défendre et résoudre elle-même ses problèmes. Cela n’est pas évident de nos jours car les pouvoirs africains, contrairement aux sociétés civiles, ne veulent pas que les bases militaires françaises quittent leur territoire. Il ne faut pas croire que la France va se transformer en Jésus-Christ et renoncer à ses instruments de domination géopolitique lorsque l’Afrique politique n’est elle-même pas déjà d’accord sur le sort à accorder aux bases militaires françaises. C’est donc aux Africains de mettre au pouvoir des leaders qui veulent tant la fin de ces bases militaires françaises que la mise en place d’une vraie force africaine capable de jouer au gendarme en Afrique.

Le rapport postcolonial est très délicat et cela se vérifie au Sahel. Prenons le cas malien pour l’illustrer. C’est le Mali par exemple qui fit appel à la France sous Hollande devant l’avancée des djihadistes vers Bamako. Une fois en place, la France initia une politique sécuritaire où elle est accusée de pactiser avec certains djihadistes et d’entériner la partition du pays. Suite à cela, les mêmes Maliens qui avaient applaudi François Hollande demandèrent à la France, sous Macron, de quitter leur territoire. Une fois que Macron décida de diminuer le contingent français au Mali, les mêmes Maliens crièrent à la trahison. Vous voyez bien que c’est parfois très difficile de savoir ce que veulent finalement les Africains. Veulent-ils que la France s’en aille du Mali ou qu’elle y reste ?

En outre, il ne faut pas exagérer sur la France en pensant que c’est elle qui fait la pluie et le beau temps en Afrique en général et au sahel en particulier. Il y a eu au Mali trois coups d’Etats ces derniers temps orchestrés par les Maliens eux-mêmes sans la France pour éjecter un président élu démocratiquement. La preuve que la France n’est pas au centre de tout au Sahel et que ceux qui sont au pouvoir actuellement au Mali sont opposés à la France et le font savoir dans leurs discours. Cela montre que ce n’est pas la France qui fait tout en Afrique. Les Africains existent et sont responsables de plusieurs choses comme celles entreprise par Assimi Goïta le nouvel homme fort de Bamako. J’espère que les discussions que cette équipe militaire semble engager avec les djihadistes porteront leurs fruits car la junte militaire semble avoir le soutien populaire malgré les pressions de la CEDEAO, de la France et des USA pour écourter la transition militaire.

Je ne pense donc pas qu’un camp ou un seul acteur dispose de toute l’information pertinente sur les agendas cachés de l’autre camp/partie sur le Sahel. Il y a certainement autant d’agendas cachés que d’acteurs sur le terrain, d’où la difficulté de tout maîtriser.

Une grande désolation persiste tout de même pour l’Africain que je suis. Je me m’attendais à ce que les militaires maliens qui prennent le pouvoir soient prêts à se sacrifier eux-mêmes pour leurs pays. Hélas ce n’est pas le cas car ils font appel aux mercenaires russes pour défendre leur pays comme s’il faut se débarrasser de « l’ogre français » pour embrasser « l’ange russe » en oubliant que nous sommes toujours dans des jeux d’intérêts géopolitiques. A quoi servent des militaires au pouvoir en Afrique dans un pays en guerre s’ils ne se montrent pas eux-mêmes forts et experts en guerre mais sous-traitent la sécurité de leurs pays aux mercenaires russes ? Ce choix complique la dimension géopolitique du Sahel car les USA et la France ne voient pas d’un bon œil l’avancée de la Russie en Afrique.

Et puis il ya le cas tchadien où la France a choisi, alors que les rebelles avançaient vers Ndjaména, de ne pas laisser le Tchad sans assistance. Là encore le rapport postcolonial est complexe. Si la France n’intervient pas pour soutenir le fils d’Idriss Déby, on crie au complot contre Déby au profit des rebelles qui seraient soutenus par la France. Si elle intervient comme elle l’a fait en soutenant le pouvoir de transition, on crie au non-respect de la Constitution tchadienne. Pensez-vous que la Constitution du Tchad allait arrêter les colonnes de rebelles qui étaient en route vers Ndjaména ? Les Africains évoquent parfois la démocratie à tort et à travers. Comment parler de démocratie dans un pays où un chef d’Etat élu est abattu au front par des rebelles et où ceux-ci s’activent pour prendre le pouvoir par les armes ? Dans pareilles situations la démocratie est un second best (un second choix) car le first best (le premier choix) c’est sécuriser le pays. La même critique est valable pour la communauté internationale qui met la pression sur Assimi Goïta sur l’organisation des élections. Il est irresponsable et criminel de parler de démocratie dans un pays en guerre, dont l’intégrité territoriale est menacée et dont la nation tangue. La démocratie c’est d’abord maîtriser son territoire, sa gouvernance, ses richesses et avoir une nation stable pour faire peuple. Les Hommes forts du type Paul Kagamé qui s’activent d’abord à bâtir un Etat, que nation et une économie sont à soutenir en Afrique car sans tout cela la démocratie est irréalisable et reste un pur mirage. La question du Sahel est donc celle d’une Afrique qui, sans volonté de puissance et sans puissance pour rendre réelle cette volonté, n’arrive toujours pas à jouer au gendarme chez elle et donc à éviter non seulement de se faire attaquer comme en Libye, mais aussi à résoudre ses problèmes sécuritaires. La preuve en est que l’Afrique devient le ventre mou des terroristes qui fuient la force de frappe d’autres continents et se réfugient en Afrique où les armées sont des hommes de pailles.

Ayant travaillé avec Achille Mbembe, vous avez été invité à Montpellier par Emmanuel Macron. Qu’est-ce que vous lui aviez dit en marge des travaux ?

J’ai effectivement travaillé en amont avec Achille Mbembé et j’ai reçu une invitation pour le nouveau sommet Afrique/France de Montpellier. Je n’ai cependant pas été à Montpellier pour une raison indépendante de ma volonté. Me connaissant, j’y serais aller que j’aurais pris la parole pour signifier au président Macron sa responsabilité historique pour démanteler la Zone Franc même si les responsables politiques africains ne sont pas demandeurs. Le rapport remis par Achille Mbembé arrive finalement à la conclusion que sortir de la zone Franc et du FCFA dépend des pays africains de cette zone monétaire. Cela est réel car les pays africains de la Zone Franc peuvent y mettre fin à tout moment s’ils abandonnent tous cette monnaie pour une autre. Cependant, sortir entraîne des coûts de sortie qui, pour le pays africain qui sort en solitaire, rendent à nouveau le FCFA plus attractif qu’une aventure monétaire autonome avec des partenaires économiques qui restent dans la zone Franc. Ainsi, mon idée était de signifier à Macron qu’il peut faire d’une pierre deux coups en fixant, de façon unilatérale, une date de fin de la zone Franc : le premier gain est que la France qui est accusée de refuser le démantèlement de la Zone

Franc montrera ainsi sa bonne volonté ; et le deuxième gain est que les présidents africains qui restent dans le confort du FCFA seront obligés de « se bouger le cul » pour mettre en place leur organisation monétaire autonome. Hélas, pour un cas de force majeur, je n’ai pas pu y aller malgré une invitation en bonne et due forme au nouveau sommet Afrique/France de Montpellier…

Faut-il selon vous réinventer la relation entre l’Afrique et la France ?

Tout à fait. La « Françafrique » mafieuse qui existe et que tout le monde dénonce est le fruit des Hommes et d’une conjoncture historique donnée. Si ces Hommes l’ont faite dans une conjoncture donnée, alors d’autres Hommes, une autre conjoncture et d’autres idées peuvent créer un autre rapport Afrique/France diamétralement opposé à la mafia que nous connaissons jusqu’ici. Il faut pour cela faire confiance à soi-même, à son intelligence et être volontariste pour faire des propositions qui aident les peuples français et africains à se fréquenter différemment et déployer ce qu’ils ont de meilleur. C’est pourquoi je dis que ces propositions constituent un point de retournement de ce qu’on connaissait jusqu’ici dans ces rapports.

Faut-il s’attendre à un autre sommet France-Afrique après la publication du rapport Mbembe ?

Le nouveau sommet Afrique/France n’est certainement pas une chose qui va s’arrêter. Je pense qu’il va entrer dans les mœurs des rapports Afrique/France. Il faut cependant souligner qu’il peut aussi disparaitre si un président français autre que Macron juge inutile cette initiative. Mais je pense les propositions si fortes que cette éventualité est peu certaine.

Pourquoi avez-vous accepté de travailler avec Achille Mbembé dans un projet aussi controversé et si critiqué ?

Je suis économiste et Achille Mbembé est plutôt historien, politiste et philosophe. Nos lectures et travaux devraient donc être éloignés et voués à ne pas se rencontrer. Il se passe pourtant que je suis un économiste ouvert aux autres sciences sociales sans lesquelles un économiste devient un véritable danger social car envoûté par des postulats et des dogmes sans emprises réelles dans les sociétés africaines. C’est donc mon éclectisme intellectuel qui me fait rencontrer Achille Mbembé et son œuvre aujourd’hui mondialement reconnue. Cette rencontre à distance par le biais de la vie des idées s’est enrichie d’une proximité qui s’est concrétisée lorsqu’Achille a reçu un Doctorat Honoris Causa à l’Université Catholique de Louvain où je suis professeur depuis déjà dix ans. J’ai eu l’honneur de présenter sa biographie lors de cette cérémonie. J’ai donc accepté de travailler avec lui premièrement pour cette amitié à la fois intellectuelle et humaine. Ensuite il y a la crédibilité morale et intellectuelle d’Achille Mbembé. C’est un compatriote qui brille par l’excellence de ses travaux et par la rigueur de sa critique de l’Occident et notamment de la France et de son œuvre en Afrique. Une demande qui vient d’une telle référence ne se refuse pas car elle ne souffre d’aucune casserole et d’aucun doute sur sa pertinence. Enfin, j’ai accepté cette collaboration parce que Achille Mbembé et moi-même avions travaillé en toute liberté, sans être payés ni surveillés par quiconque afin de garder notre entière liberté critique, de ton et d’avis. Nous étions au courant, lui et moi de toutes les critiques, mais nous avons opté de faire des propositions pour changer de trajectoire, du moins, pour impulser une autre trajectoire aux rapports Afrique/France. Cette collaboration a été passionnante et je la reprendrai si c’était à refaire car Achille est d’une intelligence dégoulinante. Le rapport du sommet de Montpellier, ceux qui ne connaissent pas la pensée d’Achille Mbembé ne le savent certainement pas, est la traduction en faits réels de celle-ci. C’est une pensée dans laquelle faire des chose en commun est non seulement possible mais aussi un puissant moyen de soigner un monde qui se consume.

Comment appréciez-vous les critiques sévères contre vous à travers les critiques du travail d’Achille Mbembé ?

Je pense plusieurs choses de ces critiques tout en reconnaissant l’importance de la critique à condition que ce soit de la critique et non autre chose.

Dans un premier temps je pense que plusieurs Africains font l’erreur d’un biais historique lorsqu’ils parlent du nouveau sommet Afrique/France. Plusieurs critiques ont pour explication ce biais historique. Biais historique qui consiste à juger du nouveau sommet et de ses propositions en pensant que c’est un sommet qui devait solder les comptes de l’esclavage, de la colonisation, des pillages et des meurtres de la France en Afrique. Ce n’était pas cela le but de ce sommet car il y a des dettes insolvables qui resteront insolvables et c’est par ailleurs mieux ainsi. Le sommet avait pour but de faire des propositions pour construire des rapports nouveaux entre l’Afrique et la France, c’est-à-dire des rapports où les deux côtés de la coopération se respectent, s’épanouissent et font des choses ensemble pour un monde qu’ils rêvent en mieux.

Dans un second temps, ayant connu les événements traumatiques et humiliants que sont la traite négrière et la colonisation, je pense que plusieurs Africains, même de façon atavique, souffrent d’un trouble post-traumatique. Cela nous renseigne par railleurs sur le fait que ces évènements continuent de structurer nos imaginaires aujourd’hui. Ce mal post-traumatique fait que plusieurs Africains ont des ressentiments par rapport à tout ce qui concerne des rapports avec les anciennes puissances coloniales. Cela se manifeste par le fait qu’ils se sécurisent par le pire au sens où ils se disent que c’est en prévoyant le pire qu’ils vont réduire l’impact de ce que le colon est en train de manigancer pour une autre colonisation. Plusieurs critiques sont dès lors le fruit du confort que de nombreux Africains, dans cette situation, trouvent en disant que leur enfer c’est toujours la France, qu’ils sont victimes et qu’ils n’y peuvent rien. Je pense qu’il faut se soigner de cela car ces Africains doutent d’eux-mêmes et même de leur existence concrète d’Homme, de sujet et d’acteur de leur vie et de celle du continent africain.

Dans un troisième temps, il y a les démissionnaires par rapport aux propositions concrètes. Ceux-là se réfugient dans des critiques radicales éculées que tout le monde connait et qui n’avancent personne en rien. Or ce qu’il faut savoir c’est que plus la critique est radicale, plus elle est confortable pour celui qui la fait car elle le rend inapte à faire des propositions concrètes qui, elles, doivent tenir compte de la réalité. Nous pouvons tous faire ce type de critique, j’en suis un expert et nul autre ne le fait mieux qu’Achille Mbembé. Mais le but du nouveau sommet était de faire des propositions et non d’être le plus grand critique du monde.

D’autres critiques existent, je le pense franchement par quatre phénomènes sous-jacents : la jalousie intellectuelle envers Achille Mbembé, la théorie du complot, les intellectuels-hyènes et la barbarie intellectuelle.

La jalousie intellectuelle envers Achille Mbembé se manifeste de plusieurs façons. La première façon c’est ce qu’on peut appeler l’incapacité mimétique des médiocres. L’homme étant un animal mimétique, c’est la haine qu’entraîne la jalousie intellectuelle chez les médiocres alors qu’elle induit l’émulation chez ceux qui y trouvent un viatique pour s’améliorer en imitant l’excellent. Le médiocre est celui qui sait pertinemment qu’il ne peut rivaliser même par imitation et donc sombre dans l’invective et l’insulte grâce à laquelle il veut prendre la lumière en se payant Achille Mbembé. Le but ici est de devenir quelque chose en critiquant Achille Mbembé.

La deuxième forme de jalousie intellectuelle est le propre des intellectuels africains qui, se pensant brillants, n’ont ni le rayonnement scientifique d’Achille Mbembé, ni sa renommée mondiale. Lorsque ceux-ci se rendent compte que c’est encore lui qui bénéficie des faveurs de Macron pour faire ce travail, ils ont une crise d’urticaire propre à ce qui frappe des intellectuels brillants sans succès ni renommée. Ils traînent une blessure narcissique qu’ils veulent panser par une critique acerbe d’Achille Mbembé.

D’autres critiques relèvent de la théorie du complot. C’est-à-dire des hommes et des femmes dont l’esprit critique vire mal au sens où ils gardent le soupçon mais perdent le doute qui devrait rendre scientifiques leurs soupçons. Alors on tombe dans un complotisme où Achille Mbembé devient le Cheval de Troie du néocolonialisme français en Afrique : un vrai délire…

Et puis il y des intellectuels-hyènes qui ne tentent jamais rien mais se nourrissent de la transformation en pourriture des choses tentées par d’autres. Ils sont vraiment sans intérêts. Enfin, je pense qu’il y au aussi ce qu’on peut appeler la barbarie intellectuelle, c’est-à-dire du populisme intellectuel qui revient à être du côté de ce que raconte l’Homme de la rue juste pour essayer de se construire une popularité en rejoignant les lieux communs et les sentiers battus sans aucune innovation.

Par contre la vraie critique, celle qui fait des propositions alternatives à celles du nouveau sommet Afrique/France de Montpellier est la bienvenue. Nous l’attendons toujours…

Propos recueillis par Hugues Seumo
Pour le SillonPanafricain.net

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