Dans la région de l’Ouest, l’ancrage culturel des minorités Mbororos ne favorisent pas leur sucés à l’école du Blanc.
Infirmier vétérinaire et conseiller municipal à la commune de Bafoussam Ier, Lehrer Amadou, fait partie des leaders avisés de la communauté Mbororo. « Nous sommes pour une grande scolarisation des membres de notre communauté. Cela doit se faire en respectant nos valeurs culturelles et ancestrales. Les enfants vont à l’école et ne sont pas motivés parce que l’on les présente un monde qui ne correspond pas à leur réalité. Nous restons une communauté autochtone. L’Etat du Cameroun ne fait rien pour former les instituteurs Mbororos suivant les conventions internationales pour la vulgarisation des langues parlées par des peuples autochtones», soutient-il. Pour lui, l’échec massif des candidats présentés par l’école publique de Didango (campement de Mbororos sédentarisés à l’Ouest) au certificat d’étude primaire(Cep),21 candidats et seulement 08 admis, traduit, incontestablement l’inadéquation entre le système éducatif appliqué et les valeurs culturelles de cette communauté.
Et les réalités quotidiennes expriment des clichés qui parlent à travers les faits et geste des enfants Mbororos. C’est notamment le cas de Idrissou Issoffa, 9 ans. Il est inscrit à l’école publique de Didango dans l’arrondissement de Koutaba. Mais à cette heure, il est soumis à une autre obligation. Ainsi, il se trouve avec des centaines de bambins de son âge dans une autre salle. Celle-ci, située en face de la mosquée du village, sert d’école coranique. Il chante et mâchonne les versets du coran sous le regard d’un maitre spécial, « le marabout ». Comme la majorité des enfants de ce village, il ne saurait se scolariser conformément aux programmes des cours édictés par le ministère de l’Education de base. Les bâtiments de l’école publique construite dans cette localité avec le concours des bienfaiteurs sont quasi inoccupés lors de notre passage. Le directeur de l’école tout comme les enseignants sont absents.
Scolarisation jusqu’à la fin du cycle primaire ?
« Dans mon village, malgré les efforts fournis pour sensibiliser les uns et les autres sur la nécessité d’envoyer les enfants à l’école, les gens se comportent toujours comme si on était dans un pays entièrement à part. Les enfants ne sont pas bien encadrés à l’école. Il y a juste « deux maitres des parents » payés sur les frais collectés dans le cadre de l’association des parents d’élèves. Le directeur seul est fonctionnaire. Il enseigne de manière jugulé les classes de Cour Moyen Ière et II Emme année. Les élèves de la Section d’initiation à la lecture (Sil) et ceux du cours préparatoire(Cp) sont tenus par le même enseignant. Ceux des deux classes intermédiaire sont aussi encadrés par une seule personne », se plaint Aladji Oumarou, notable dans la cour du lamidat de Didango. Ce dignitaire trouve que le programme de formation à l’endroit des jeunes Mbororos est inadapté. Ce qui constitue un frein à leur insertion dans la vie sociale et la poursuite d’un cursus scolaire normale. «Chaque année, nos école enregistrent les plus mauvais taux d’échec aux examens de certificat d’étude primaire (Cep) dans le département du Noun », ajoute Sidiki Ibrahim. « Dans mon village à Kouchakam dans l’arrondissement de Massagam, poursuit-il, nous avons construit une école. L’Etat n’a rien apporté pour soutenir les efforts de la communauté. Nos enfants sont abandonnés. Le fulbubé, notre langue maternelle doit être intégrer dans le programme de formation. Aucun des instituteurs n’est originaire de notre ethnie. Et cela complique la communication avec les enfants. Ils doivent déployées beaucoup d’efforts pour s’adapter. Et en grande majorité, ils ne parviennent pas à se scolariser jusqu’à la fin du cycle primaire. » Une situation qui selon Amadou Lehrer est au cœur des préoccupations de Mboscuda (Mbororos cultural association). « Nos enfants sont victimes d’une politique d’éducation de base en inadéquation avec la culture Mbororo. Ils font l’école comme si c’était une corvée. Les programmes, la vétusté des salles de classe, la mauvaise qualité ou le manque de motivation des enseignants ne sont pas de nature à les encourager à se scolariser. Ils sont étrangers à ce système de socialisation… Nous travaillons avec des partenaires sur les actions à mener pour favoriser une plus grande scolarisation des jeunes Mbororos. Nous essayons de les faire comprendre qu’ils doivent se former pour pouvoir exercer des métiers autres que ceux liés au monde agropastoral ou à celui de transporteur. Ils doivent correctement se former pour répondre aux exigences et aux défis de la modernité », explique-t-il.
Pour une éducation aux valeurs africaines
La triste réalité liée à la scolarisation des enfants Mbororos est quasi identique à l’école publique de Sanki à Bangangté ou de Tchada II à Baleng. Contenus des programmes, manuels, examens et, à quelques exceptions près, enseignants sont les mêmes. Mais le nombre de matières et la durée quotidienne des cours sont réduits, les élèves sont souvent absents, et la plupart d’entre eux, travaillant pendant la journée, sont trop fatigués pour étudier et faire leurs devoirs la nuit. Si certains déclarent être heureux de pouvoir continuer leurs études, nombreux sont ceux qui se demandent ce qu’ils font là. Il faut ménager les élèves car le risque d’abandon est élevé, et les enseignants ne sont pas payés ou mal payés. « Quand j’enseigne et que je vois qu’ils ne comprennent pas, je leur donne des devoirs faciles, mais l’évaluation est la même que d’habitude. D’une façon générale, je ne leur fais jamais de reproches sur la manière dont ils étudient. En ce qui concerne la notation, si je mets “moyen” aux autres je leur mets “assez bien”, pour les encourager », indique une enseignante de l’école publique de Tchada II à Baleng dans la commune de Bafoussam IIeme.
Les familles les plus défavorisées
Les efforts déployés par l’Etat pour mobiliser les élèves sont, selon Mme Kouam, responsable du service des affaires sociales à la commune de Bafoussam II, importants. Pour elle, à l’exception des zones où l’obtention d’un diplôme est un avantage pour la recherche d’un emploi, la motivation est faible, chez les élèves encore plus que chez les parents, et les enseignants doivent parfois assurer le transport des élèves pour s’assurer que ceux-ci viendront aux cours, comme les enfants qui fréquentent les cours sont issus de familles rurales et pauvres. « Les marges non scolarisées ou déscolarisées trop tôt se trouvent pour l’essentiel dans les familles les plus défavorisées. L’abandon est généralement progressif. Les élèves, absents de façon plus ou moins régulière parce qu’ils sont dans l’obligation de travailler pour payer leurs frais de scolarité ou aider à la survie de la famille, ou parce qu’ils se font réprimander ou punir par l’enseignant parce qu’ils n’ont pas de bons résultats ou que leurs parents n’ont pas encore payé, finissent par quitter prématurément l’école », analyse-t-elle. « Si ces familles bénéficient des efforts réalisés en matière d’accessibilité de l’école, poursuit la fonctionnaire du ministère des affaires sociales, la charge du maintien des enfants à l’école leur revient, responsabilité à laquelle ils sont rappelés sans relâche par un système local de mobilisation pour l’éducation soucieux d’améliorer les statistiques scolaires, à défaut de vouloir ou de pouvoir aider les familles à maintenir leurs enfants à l’école. » Que dire du rôle central que devrait jouer l’Etat du Cameroun en la matière ? Les différentes juridictions internationales reconnaissent aux minorités des droits fondamentaux, comme celui d’utiliser leur langue maternelle et de vivre dans leur culture d’appartenance.
Guy Modeste DZUDIE
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