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Christopher Fomunyoh Il faut arrêter l’hémorragie Le directeur pour l’Afrique du National Democratic Institute for International Affairs (Ndi) s’exprime sur les contacts entre le pouvoir et les leaders incarcérés de l’Ambazonie et sur la succession de gré à gré. Des informations confirmées par le leadership de l’Ambazonie font état de l’ouverture de négociations entre des leaders sécessionnistes, dont Ayuk Tabe, et des représentants du pouvoir. Comment avez-vous accueilli ces informations ? Si cela se confirmait aussi du côté du pouvoir, ça serait signe que le bon sens commence à prévaloir et que de plus en plus une grande partie de la population ainsi que certains décideurs se rendent à l’évidence que le problème anglophone est éminemment politique en non militaire, et qu’on ne pourra jamais trouver la paix en tuant ses propres compatriotes, qu’ils soient en civil ou en uniforme. J’apprécie donc ces premiers pas. Du fond du cœur, je souhaite profondément que le processus s’accélère pour qu’on arrête les tueries, les atrocités et toute sorte de sauvagerie auxquelles sont exposées les populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest depuis maintenant quatre ans. Le sang des Camerounais a assez coulé. Il faut arrêter l’hémorragie. Les parties en présence doivent avoir l’humilité de se rendre compte que la guerre ne nous mène nulle part, et elles devraient donc travailler à rechercher la vraie paix, celle des cœurs. Est ce qu’il s’agit simplement pour le pouvoir de donner des gages à l’ONU ou alors de faire taire définitivement les armes ? Il est vrai que lesdits contacts coïncident avec les appels incessants de la communauté internationale pour qu’on arrête cette guerre fratricide et stupide, que les Camerounais arrêtent de s’entretuer. Ces derniers temps, le secrétaire général des Nations Unies a lancé un appel de cessez-le-feu global des conflits en ce moment de pandémie COVID-19. La semaine dernière, cet appel a été adopté par le Conseil de sécurité à l’unanimité par la Résolution 2532. Ces différents signaux forts de la communauté internationale viennent s’ajouter aux cris de cœur de nous autres de la société civile et de certains politiques pour que ce conflit armé cesse. Je n’exclus pas non plus le fait que certains qui, dans la précipitation d’hier, pensaient pouvoir aller mater ou, pire encore, ‘écraser’ les concitoyens dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest -alors que ceux-ci portaient des revendications et des griefs tout à fait légitimes -commencent à se poser des questions sur le bien fondé de cette guerre. Faites un tour dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest et voyez vous même dans quelles conditions matérielles et psychologiques vivent les populations. Les pertes en vies humaines se comptent en milliers, et les réfugiés à près de 100.000, près de 800.000 déplacés internes, et plus d’un million et demi de gens aujourd’hui exposés au risque de famine, selon les organisations des Nations Unies. Une vraie désolation à ciel ouvert. Je ne parle même pas des villages rasés et des infrastructures détruites, ni du traumatisme généralisé des populations dont les conséquences se feront sentir pendant des décennies après l’arrêt des hostilités. J’imagine qu’au plus haut niveau de l’État, on fait le bilan de tout cela pour constater que les enjeux sont énormes et que l’heure n’est plus aux gestes symboliques pour plaire à tel pays ami ou à telle organisation internationale. Quels sont les points essentiels qui nécessitent un accord entre les deux parties, pour envisager un cessez-le-feu, voire une sortie de crise ? À mon sens, un cessez-le-feu devrait être facile à obtenir parce que cela dépend d’un groupe assez restreint d’acteurs et d’intervenants. Nous savons tous comment ce conflit a commencé et je pense qu’il serait judicieux que celui qui avait déclaré la guerre et ceux qui ont pris les armes prennent leurs responsabilités pour signifier leur attachement à un cessez-le-feu. Bien réussi, un cessez-le-feu jettera les bases pour des négociations véritables et inclusives afin de régler de manière définitive les différends qui opposent ceux qui se réclament de l’Ambazonie et la République du Cameroun. Les griefs des Anglophones sont réels et connus ici et à travers le monde, et on ne peut plus les balayer du revers de la main. Il est temps de mettre tout sur la table, sans se voiler la face. D’autres points essentiels devraient porter sur la libération des détenus et des emprisonnés de la crise, et sur la prise des mesures à même de rassurer les uns et les autres de l’attachement de l’état à une sortie de crise par la voie des négociations ouvertes, bien structurées et incluant tous les acteurs de pois dans ce conflit. Quelles sont les nouvelles du front dont vous disposez, depuis le Grand dialogue national (GDN) ? En l’absence d’un dialogue réellement inclusif, la situation reste dangereuse. Elle risque de s’aggraver davantage à défaut de trouver une sortie négociée et cela dans les meilleurs délais. Vous vous souvenez du jeune et très dynamique maire de Mamfe Presley Ojong assassiné à 35 ans en mai – paix a son âme. Et cela devrait nous rappeler la situation particulièrement pénible de la jeunesse anglophone. Nous avons toute une génération de jeunes qui en 2016 avaient entre 12 – 18 ans et qui se trouvaient pour la plupart au collège et au lycée. Aujourd’hui cette génération est en train d’atteindre la majorité avec cette crise comme point de référence et les études arrêtées à cause des écoles fermées. D’autres ne peuvent même plus mener les activités économiques et de survie stable à cause des villes mortes et des incidents de violence et de harcèlement sécuritaire à répétition. Que des frustrations et d’amertumes cumulées pour la citoyenneté de demain! Vous n’avez pas pris part au GDN. Certains au sein du pouvoir estiment que vous vous êtes radicalisé. Je ne me suis pas radicalisé ; j’ai été seulement très déçu par la manière dont cette crise a été gérée lorsqu’elle s’est déclenchée en 2016. J’ai été très marqué par l’incapacité de certaines personnalités pour qui j’avais pourtant de l’estime à reconnaître les errements du passé, ce qui m’a poussé à beaucoup d’interrogations sur où étaient passés les sages de la République. Il est vraiment pénible de constater comment certaines élites politiques et universitaires en qui on avait pourtant confiance se sont démontrées si nulles quant à la maîtrise de l’histoire de notre pays. Il a fallu que le Président Biya reconnaisse en mondovision lors de la conférence de la paix à Paris que le problème anglophone existe depuis des décennies pour que ceux-là se ressaisissent. Vivement que notre pays sorte de ce cauchemar pour ne plus connaître ce niveau d’incompétence et de malhonnêteté intellectuelle. Pour le GDN proprement dit, j’ai eu à échanger avec le Premier ministre Dion Ngute là-dessus au mois de mars 2020, et on s’est compris que le plus important c’est de se focaliser sur ce qui reste à faire pour que la crise et le conflit s’arrêtent pour de bon. De votre point de vue, est ce que la mise en œuvre des recommandations du GDN est satisfaisante ? C’est connu de tous qu’une frange importante des Anglophones ne s’est pas sentie représentée au GDN, et que même pour ceux qui y ont participé, leurs voix n’ont pas porté pour autant. Il est vrai que le gouvernement se bat pour mettre en œuvre certaines des résolutions dudit dialogue, mais, sans l’adhésion de tous les acteurs concernés, ces efforts ne pourront pas prospérer. Aujourd’hui, beaucoup de personnes s’interrogent sur la viabilité de la DDR ou de la Reconstruction pendant que le conflit armé reste d’actualité. Les organisations de défense des droits de l’homme, les universités et autres centres d’études ont dans leurs bases de données, des informations précises et fiables sur les tueries qui ont eu lieu à Ngarbuh, Mamfe, Muyuka, Bangem, Buea, Bafut, Babanki, et ailleurs dans la zone anglophone depuis le Grand Dialogue; c’est pour dire que la crise demeure de plus belle, en dépit du GDN, malheureusement! Est-ce que l’enlisement de cette crise n’est pas aussi le fait d’une certaine diaspora qui financerait les insurgés ? Voilà un autre exemple à déplorer où les remises des fonds de la diaspora qui par le passé servaient à financer les projets de développement et le bien-être des populations sont aujourd’hui canalisées par certains vers le financement des groupes armés. Et mon inquiétude est encore plus grande dans ce sens que même si une certaine diaspora s’essoufflait, tant que le conflit demeure, ce n’est pas à exclure que d’autres financiers potentiels surgissent, comme c’est le cas dans beaucoup d’autres conflits en Afrique et à travers le monde; ce qui pourrait rendre le conflit encore plus intraitable. On parle déjà de reconstruction du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, c’est possible en l’état actuel de la situation ? Les membres de la délégation ministérielle qui est allée sur le terrain pour la « Reconstruction » pourra partager avec vous leur expérience des séjours à Buea et à Bamenda. Mais faut-il le savoir, même l’homme de la rue, le Camerounais lambda, vous dira que l’idée est bien noble, mais sa mise en œuvre sera difficile pendant que les forces en présence se tirent encore dessus. Je crains qu’on ne puisse obtenir les fruits escomptés. Evitons de mettre la charrue avant les bœufs. Vous avez toujours été proche d’une candidature à l’élection présidentielle, d’après des analystes, bien que vous ne vous êtes jamais présenté. Aujourd’hui on parle d’une éventuelle succession de gré à gré, d’une révision constitutionnelle, de l’instauration d’un poste de vice-président, cela vous inquiète ou vous rassure ? Que les gens impliqués dans toute sorte de conspiration se détrompent: le gré à gré ne passera pas au Cameroun. A moins de vivre sur une autre planète, force est de reconnaître que le pays vit déjà de multiples crises, y compris une forte crise de confiance dans la classe octogénaire qui nous gouverne. Il faut ne pas jouir de toutes ses facultés mentales pour oser imaginer que la majorité des 25 millions de Camerounais se laisserait imposer ses dirigeants, encore moins à l’avantage de ceux qui ont mis le pays par terre. Imaginer aussi qu’on peut manigancer, orchestrer toute sortes de textes afférents à la constitution, et tout nuitamment, pour arranger certains et favoriser d’autres, c’est de la pure inconscience tragique pour un pays déjà fragilisé sur plusieurs plans. Ça se voit que le Cameroun d’aujourd’hui est l’ombre de lui-même, et donc les principaux concernés ont le devoir et l’obligation de démultiplier les crises au lieu d’allumer d’autres foyers de tensions. On dirait que certains n’ont rien retenu de la crise qui nous secoue depuis quatre ans, encore moins des effets du référendum constitutionnel expéditif de 1972.

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